Je suis, ou plutôt j’ai été, de ceux qui ont considéré Saleh Kebzabo comme le nec plus ultra de l’opposition tchadienne.
C’était un opposant de qualité. Il faisait de l’opposition intelligente et constructive. Il donnait au péril de sa vie, de la répartie au régime redoutable et redouté d’Idriss déby Itno.
Il est l’un des crocodiles les plus en vue du marigot politique tchadien depuis plus de 30 ans. Quatre fois candidat malheureux aux élections présidentielles, le nouveau Premier Ministre, est un dur à cuire. C’est un véritable marathonien de la politique qui n’a jamais rien lâché.
Eloquent, cultivé et structuré, cet ancien journaliste qui a fait ses classes à Jeune Afrique, avait plutôt bonne presse au sein de la jeunesse tchadienne.
Ça, c’était avant. Aujourd’hui, pas sûr que d’avoir accepté la Primature, Kebzabo soit toujours en phase avec la jeunesse voire avec ses amis de l’UNDR.
Quand j’ai appris sa nomination, il m’est tout de suite venu à l’esprit la célèbre chanson de Jacques Dutronc : « L’opportuniste. »
En voici quelques strophes : « Je suis pour le communisme/Je suis pour le socialisme/Et pour le capitalisme/Parce que je suis opportuniste/Il y en a qui contestent/qui revendiquent et qui protestent/Moi je ne fais qu’un seul geste/Je retourne ma veste/Je retourne ma veste, toujours du bon côté (…) »
Pendant 30 ans, Kebzabo n’a pas seulement retourné sa veste. Il a tout retourné : veste, gandoura, chéchia, chaussettes… Pour pasticher Dutronc, il a tellement retourné sa veste qu’elle craque de tous côtés. À la prochaine révolution, il retournera son pantalon.
Il est peut-être excessif de traiter le Nouveau Premier Ministre de « retourneur » de veste. Ce serait bien sûr réducteur vu le travail d’opposition évoqué plus haut, qu’il a abattu pendant des décennies.
Mais une grande partie de l’opinion est quelque perdue par les contradictions de Kebzabo.
On se souvient de son tweet au lendemain de la disparition du Maréchal auquel son fils avait succédé : « L’UNDR condamne le coup d’Etat opéré par les généraux du CMT au lendemain du décès d’Idriss déby. »
Quelque temps après, il a rallié le camp du fils Déby en intégrant le processus de transition.
Autre contradiction, Kebzabo a été à l’initiative de la coalition Wakit Tama qui était vent debout contre la junte qui devait quittait les affaires au terme des 18 mois de transition.
Il a abandonné en chemin Wakit Tama pour rejoindre l’actuel pouvoir. Qu’il ait accepté le poste de Premier Ministre, est appréhendé par ses anciens camarades de l’opposition comme une trahison.
Lui, reste droit dans ses bottes. Il dit n’avoir pas de leçons à recevoir de la part de certains « braillards » de l’opposition qui brillent par leur « inconsistance ».
Il faut entrer dans la tête de Kezabo pour comprendre son choix de cheminer avec les militaires. A 75 ans, il joue sa dernière carte.
Président, il a voulu être. Président, il ne le sera sans doute jamais. Premier Ministre, il s’en contente.
Pour parler comme Dutronc, après avoir retourné sa veste et son pantalon, il ne lui reste que le caleçon.
Et s’il retourne ce dernier, on imagine ce qui lui restera…
Innocent Ebodé